Ce qui empêche la France de se réformer
LE CERCLE/POINT DE VUE - Il existe dix poisons qui entravent l'engagement et la réussite des réformes en France. Tour d'horizon.
En ces temps de début de quinquennat, les réformes sont à l’ordre du jour. Après la moralisation de la vie publique et le Code du travail, l'exécutif planche déjà sur celle de l'assurance-chômage.
Seulement, il y a quelques jours, en marge de son déplacement en Europe de l'Est, Emmanuel Macron a déclaré que «La France n'est pas un pays réformable, les Françaises et les Français détestent les réformes. Dès qu'on peut éviter les réformes, on ne les fait pas. C'est un peuple qui déteste cela. Il faut lui expliquer où on va, et il faut lui proposer de se transformer en profondeur...»
Il est vrai que dans notre histoire, notamment depuis la Révolution de 1789, il a fallu attendre et atteindre des extrêmes (difficultés économiques, défaites militaires…) pour avoir le sursaut de la transformation. Pour tous ceux qui ont à initier et piloter des processus de réforme, de transformation, il est important de connaître les dix poisons qui entravent l’engagement et la réussite des réformes. Cela pourra les aider à s’en prémunir et à mettre en oeuvre les antidotes efficaces.
1. La défiance
Toute réforme ou changement se trouve fortement compromis si l’on ne fait pas confiance à ceux qui les initient et les portent (politiques, dirigeants, managers.. ). La confiance concerne aussi bien l’honnêteté que la compétence, on peut résumer cela par la crédibilité.
2. La carence de sens
Le deuxième poison, c’est la carence de sens, c’est-à-dire la non-connaissance et/ou la non-compréhension des raisons pour lesquelles la réforme est initiée. Ajoutons-y les enjeux, les contraintes à intégrer, les opportunités à saisir.
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Cela intègre aussi la pertinence du changement : son utilité, sa nécessité voire son caractère incontournable. Faute de sens, le changement ne sera ni accepté ni intégré par ceux qui sont impactés par sa mise en oeuvre.
3. L’iniquité de la réforme
Si ceux ou certains de ceux qui sont impactés par la réforme, le changement y perçoivent de l’iniquité, il y aura rejet et parfois rejet violent. Cette dimension est extrêmement sensible aujourd’hui. Lorsque l’on demande des efforts, encore faut-il qu’ils soient équitablement répartis.
4. La dictature du court terme et des solutions simplistes
Dans les entreprises comme au niveau des nations, c’est souvent la vision à court terme qui l’emporte. Cela peut être lié à la pression des actionnaires, au comportement cynique de certains investisseurs et fonds de pensions, aux jeux politiciens, voire à la démagogie.
Très souvent, cette myopie s’accompagne d’une absence de vue d’ensemble et d’une impasse sur les conséquences à plus long terme. Les solutions simplistes (et souvent démagogiques) se traduisent par des formules du type : «Il suffit de», «y’a qu’à», «faut qu’on»...
5. Le déni de réalité
Beaucoup de réformes nécessaires ne sont pas engagées, car les responsables concernés, avec parfois la complicité de ceux qui seront impactés, refusent de voir une réalité perçue comme dérangeante, inconfortable. Cela notamment lorsque le changement bouscule les habitudes, remet des avantages acquis en cause. Lorsque la réalité ne correspond ni à nos désirs, ni à nos croyances, ni à nos opinions, ni à nos valeurs, nous avons une tendance naturelle à l’occulter.
C’est ce que le psychosociologue Leon Festinger appelle la «dissonance cognitive». Il a montré que le besoin de cohérence personnelle l’emporte presque toujours sur la réalité, si cette dernière la remet en cause.
Pour engager les réformes nécessaires, il faut accepter de voir la réalité telle qu’elle est. Tôt ou tard, elle se rappelle à notre bon souvenir et les problèmes qui existaient n’ont souvent fait qu’empirer. La politique de l’autruche mène nécessairement dans des impasses. Nier la réalité, ne l’efface pas.
6. L’illusion que les choses finir par s'arranger
L’illusion est une sorte de cousin germain du déni de réalité. Ici, le problème, la difficulté voire les risques sont identifiés, mais on décide de ne pas agir. On vit dans «l’illusion» que les choses finiront bien par s’arranger. Ça peut arriver, mais le plus souvent les choses empirent.
C’est typiquement la posture de certains économistes et dirigeants qui pensent que de toute façon le marché finit par s’auto-réguler. Les crises de 1929 et 2008 ont montré les limites d’une telle approche. Laisser pourrir les problèmes est rarement la bonne solution.
7. L’absence de courage des réformateurs
Engager certaines réformes n’est pas sans risques pour ceux qui les initient. Il peut y avoir des oppositions (conflits sociaux, grèves…). Dans les réformes d’ampleur, il y aura nécessairement des contestataires, des opposants. Il faut l’accepter et ne pas renoncer.
Comme l’avait dit Antoine Veil dans une émission de télévision : «Après les Trente Glorieuses, il y a eu les trente somnolentes.» Le courage a manqué à de nombreux dirigeants. Quand on dirige (politiquement, économiquement notamment) ce qui sera au final le plus reproché, c’est l’inaction, le renoncement.
8. L’enfermement idéologique
C’est l’enfermement dans un système de représentation du monde ou de ce que devrait être le monde. L’idéologie entraîne une rigidité : tout ce qui ne rentre pas dans le moule idéologique est rejeté.
En politique, cette rigidité est souvent maintenue au nom d’un avenir meilleur, voire idéal et parfait. Cette posture entraîne inéluctablement une déconnexion d’avec le réel. L’idéologie produit donc des solutions inadaptées, donc des résultats désastreux.
Pour se maintenir au pouvoir, les tenants de l’idéologie n’ont d’autre solution que de mettre en place des systèmes de pouvoir autoritaires, voire totalitaires dans l’univers politique.
L’enfermement idéologique est notamment dangereux par le fait qu’il donne l’illusion qu’on détient la solution et qu’en dehors de cette solution, il n’y a pas d’autres alternatives. Et, si ça ne marche pas, ce qui sera généralement le cas, on invoquera des causes extérieures : trahison, sabotage, bouc émissaire, complot, conjoncture…, bref on recherchera des coupables.
9. Le recyclage des solutions du passé
Puisque ça n’a pas marché, recommençons-le ! C’est un comportement extrêmement fréquent tant dans l’univers politique que dans celui de l’entreprise. On ne reproduit pas forcément exactement la même chose, on fait de petits aménagements, de petites restructurations, mais le fondamental de la démarche, de la solution reste le même. Assez souvent, ces solutions ont marché dans le passé, mais le monde, le contexte ayant changé, il faut inventer autre chose.
10. La solution unique et définitive
Penser qu’il n’y a qu’une solution revient à un enfermement et à une limitation des possibles. Les problématiques que nous avons à résoudre dans l’univers politique et entrepreneurial sont généralement complexes. Il faut donc s’obliger à rechercher des solutions possibles (qu’on discriminera ensuite à l’aide de critères : coût, faisabilité…), ce qui suppose des démarches participatives où l’on promeut l’intelligence collective.
Attention aussi au fait de croire qu’on a réglé une problématique une fois pour toutes. Dans un monde en dynamique permanente de changement, c’est une profonde illusion. En réalité, toute solution ou mix de solutions est à considérer comme nécessairement imparfait et provisoire. Peut-on sérieusement croire qu’on va résoudre une fois pour toutes et de façon parfaite les questions de croissance, de chômage, de délinquance…
Il faut donc évaluer dans la durée l’efficacité des solutions retenues et savoir remettre sur le métier quand leurs résultats s’altèrent. Il faut également rester conscient du fait que la résolution (temporaire) d’un problème n’empêche pas le surgissement de nouveaux problèmes. Il convient également de s’interroger non seulement sur les effets supposés bénéfiques d’une solution, mais aussi sur ses possibles effets pervers.
Conclusion
Conduire la réforme, le changement, ce sont des démarches extrêmement difficiles et à haut risque. Dans un monde qui bouge et continuera à bouger, ne rien faire, rester sur le statu quo est encore plus risqué.
Nous n’avons d’autre choix que d’accepter, sous réserve de leur pertinence, la nécessité de la réforme, du changement. Ne pas se faire piéger par l’un ou plusieurs des poisons évoqués aidera à se donner plus de chances de réussite. C’est aussi accepter le principe de la prise de risque, car comme le notait Wladimir Wolf Gozin : «Vivre prudemment, sans prendre de risques, c’est risquer de ne pas vivre !»
Marc-Alphonse Forget est consultant, coach et formateur auprès de grandes entreprises et de structures publiques
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Je contribueLa France souffre d’une oligarchie qui l’empêche de se réformer
Les cinq raisons qui empêchent la France de se réformer !
Bien que le pays soit en ébullition, l'élite française reste figée dans une immobilité notoire. Quelques exemples historiques justifient l'incapacité de l’élite française à faire face à la crise actuelle.
L'autocritique (1), qui n'est pas la force du président François Hollande, montre cependant l'incapacité des élites françaises à dire au revoir aux chimères historiques.
Cela fait déjà quatre fois que la France a réussi, dans des situations dramatiques, à trouver une échappatoire à une crise existentielle. C’est plus surprenant encore si l’on considère la rigidité notoire avec laquelle l'élite parisienne s’est opposée à toute réforme ou, si elle s’est réveillée, a capitulé dès le premier signe de résistance. On peut mettre cela sur le compte d’un calcul tactique, d’une arrogance collective ou d’une vision erronée. Cependant, il est instructif d’analyser l'expérience historique unique de la mentalité française.
1 Le centralisme
Jusqu'à la fin du Moyen-Age, la France était un ensemble de pièces rapportées sous la coupe de différents seigneurs. Le plus grand propriétaire foncier dans le pays était le roi d'Angleterre. Le droit à sa succession déclencha la guerre de Cent Ans qui ruina presque la France.
Bien que les archers anglais décimassent la chevalerie française dans plusieurs batailles, les rois de France réussirent à reprendre peu à peu le contrôle de plusieurs provinces. Avec l'augmentation des impôts, ils recrutèrent des soldats et les rendirent indépendants des droits seigneuriaux. Avec l’émergence de ce pouvoir centralisé non seulement les armées anglaises furent vaincues, mais aussi les revendications de l'aristocratie. A la fin de la guerre, en 1450, de ce conglomérat de pouvoirs divergents émergea un régime politique dont les frontières préfiguraient celles de l'État-nation. La monarchie était devenue le centre du pouvoir et Paris sa capitale.
Mais ce centralisme, qui devint le modèle des dirigeants de l'Occident, était loin d'être parfait. Dans la lutte contre la Bourgogne et l'Empire espagnol de nombreuses conquêtes furent perdues à nouveau.
2 L’absolutisme
Une fois de plus la couronne française connut une crise existentielle. Dans les guerres confessionnelles du seizième siècle, la France échappa, de justesse, à un éclatement, mais le pragmatisme toucha le chef huguenot Henri IV qui se convertit au catholicisme : «Paris vaut bien une messe.» L'unité religieuse fut encadrée dans une doctrine laïque : la souveraineté de l'État l’habilite à arbitrer au-dessus des parties. Ce sont des intellectuels comme Jean Bodin qui reconnurent à la couronne la détention de cette souveraineté.
Une génération plus tard, ce fut un prince de l'Église, le cardinal de Richelieu, qui en s’appuyant sur l’alliance avec la couronne protestante suédoise, jeta les fondements de l'Etat séculier dont Louis XIV put proclamer un jour : « L'Etat c’est moi ! » Contre toutes les traditions, la France fut divisée en intendances qui portèrent la volonté du roi dans de nombreux recoins de son empire qui était devenu le plus puissant en Europe.
Mais cet absolutisme était tout sauf absolu. Certes, la vieille noblesse était sous le contrôle royal à la cour de Versailles. Mais dans le royaume se mit de facto en place une nouvelle aristocratie de hauts fonctionnaires (2) au-dessus des parlements, qui fut effectivement créée par le roi, mais que ce dernier n’avait pas les moyens de contrôler. Les folies du monarque firent exploser la dette. En 1714, à la fin de la guerre de Succession d'Espagne, la dette nationale était trente fois plus élevée que les recettes fiscales. (3)
3 La révolution
Le résultat de la faillite fut la convocation des États généraux en 1789, la révolution et le renversement de la monarchie. Dans un sursaut inimaginable, la République sut préserver son existence contre les armées coalisées de l'Ancien Régime et le soulèvement de la Vendée. L'héritier de la Révolution, Napoléon Bonaparte, soumit non seulement la moitié de l'Europe, mais établit un Etat moderne et efficace, qui, même après la fin de l'Empire, fut préservé.
Mais la victoire de la bourgeoisie et de son alliée, la métropole parisienne, avaient le revers de la médaille. La résistance du pays, de ses fermiers et de ses nobles ne put être écrasée qu’avec une extrême brutalité. Mais il a toujours existé - géographiquement et mentalement - des zones d'ombre que le centralisme et l'absolutisme ne purent éradiquer. La division de la France a perduré entre une élite étatique et beaucoup de particularismes provinciaux.
A cela s’ajoute la grande imposture de la Révolution dont la devise est la liberté, l’égalité et la solidarité. La réalité est plutôt dans le slogan «Enrichissez-vous ! » qui déclencha les révolutions du dix-neuvième siècle.
4 Le capitalisme
En 1871, les armées allemandes écrasèrent celles de l'empereur Napoléon III, et la République naissante ne put venir à bout de l'insurrection de la Commune de Paris qu’après un long siège. C’est l'un des plus grands succès de la France que d’avoir créé, sur les décombres de cette insurrection, un État industriel moderne qui, quarante-trois ans plus tard, sut contrer avec succès la machine de guerre de Guillaume II. De plus, la France fut capable de fournir à l'Empire tsariste les moyens financiers de sa modernisation et d’entretenir un empire colonial très déficitaire.
Mais après avoir gagné la Première Guerre mondiale, la Troisième République perdit les effets de cette victoire à vouloir mener de concert une politique de solidarité sociale et de prospérité économique. (4) Après tout, le capitalisme s'est avéré fragile dans ce pays : «Parce qu'il est étranger au corps français», a expliqué le grand historien Fernand Braudel. La France et ses élites n’aiment pas la maximisation du profit poursuivi par le capitalisme anglo-saxon avec «ses dents de requin.»
5 L’amour-propre
Le pouvoir séculier n'a pas encore compris où son modèle social conduit la France. La raison est la même que celle qui a abouti à quatre catastrophes historiques dans ce pays : c’est l'ivresse de l'engouement et de l’aveuglement. Parce que l’influence pérenne du centralisme, de l'absolutisme, de la révolution et du capitalisme à la française a pu paraître suffisante pour surmonter toutes les crises dramatiques et maintenir au pays son rang de puissance et de modèle pour le reste du monde, une culture de l’autocritique est inconcevable pour permettre un changement de direction. La tradition du Roi Soleil et de ses fonctionnaires omnipotents hante encore la cour. L'étroitesse d'esprit et l'uniformité des diplômés des grandes écoles parisiennes en est la conséquence aujourd’hui. (5)
Berthold Seewald
Die Welt
Notes du traducteur
(1) Le président a fait le pari, contre l’avis de tous les experts économiques qui ne sont ni marxistes ni keynésiens, d’inverser la courbe du chômage à la fin de l’année par une politique fiscale inquisitoire.
(2) Le colbertisme donna naissance au capitalisme rigide à la française, un avatar étatique du vrai capitalisme qui est libre et privé. Le colbertisme est l’alma-mater de l’ENA où est formatée l’élite française.
(3) C’est un rappel historique bienvenu qui prouve que le pouvoir absolu est une calamité naturelle comme la peste et le choléra. La Cinquième République, avec son président omnipotent, constitue un malheureux retour en arrière pour la France.
(4) Le Front Populaire, une coalition de partis de gauche qui prit le pouvoir en 1936, conduisit tout droit à la catastrophe du 10 mai 1940 avec la percée des blindés de Guderian dans le saillant des Ardennes. On relève le même aveuglement du gouvernement actuel face à l’imminence d’une autre catastrophe. L’histoire de France n’est qu’un enchaînement de catastrophes en raison de l’aveuglement des élites qui ne se remettent jamais en question.
(5) Il faut supprimer les grandes écoles et créer des universités autonomes avec un financement à moitié par les étudiants et à moitié par les entreprises.
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